La mobilité est devenue la règle. Elle fait évoluer notre rapport au monde et au temps

Interview par Pierre Tillinac, publiée dans le journal Sud-Ouest le Jeudi 5 octobre 2006

AMAR

Georges Amar est responsable de l’unité prospective et développement de l’innovation à la RATP. Ingénieur de l’Ecole des mines, il cherche à percevoir les changements de raisonnements et de logiques à l’oeuvre dans le secteur de la mobilité.

En quoi la notion de mobilité évolue-t-elle ?

Parler de mobilité comme on le fait aujourd’hui est déjà un grand changement. Il y a quinze ans, on n’employait pas le mot.

En quoi cela a-t-il changé la façon d’envisager le transport ?

En tout. Les usages des transports. Les moyens de transport. Les pratiques des professionnels. Tout est en train d’évoluer.

La mobilité est la règle ?

Elle est devenue un droit social. On peut la voir comme un droit ou comme un devoir, trouver que c’est bien ou mal, mais on est bien obligé d’en prendre acte.

Est-elle la même pour tous ?

Plutôt que de parler simplement de mobilité, j’aime bien employer l’expression mobilité individuelle. Quand on dit transport, on pense transporteur, et dans ce schéma, le transporté reste passif. Quand on parle de mobilité, on pense en fait mobilité des individus. On prend en compte le « pour tous » et le « chacun » de la mobilité. Cette mobilité devenue facteur de civilisation interfère avec plein de choses. Le rapport entre mobilité et santé est clair. Le rapport au corps a changé. Mais le rapport au temps aussi.

Toujours plus vite ?

Au contraire. Mobilité n’est pas uniquement synonyme de gain de temps. Ce n’est plus qu’un paramètre parmi d’autres. L’une des métaphores intéressantes pour l’avenir du transport, c’est la croisière, parce qu’elle permet justement d’associer déplacement et plaisir.

Comment l’individu vit-il cette mutation ?

L’individu mobile est un individu connecté, branché, communicant, etc. L’individu d’aujourd’hui a un corps et un téléphone mobile. L’emblème de la mobilité, c’est Nike + Nokia.

Que se passe-t-il si une personne ne se reconnaît pas dans cette définition ?

Ces personnes n’existent plus. Elles ont disparu. Tendanciellement en tout cas.

Comment le transport prend-il en compte toutes ces évolutions ?

En passant du hard au soft.

Concrètement ?

Un exemple avec l’information. Jusqu’à présent, elle se limitait à de la signalétique spatio-temporelle : où est mon bus et à quelle heure il passe ? Maintenant, nous sommes en train de passer au guidage. L’information n’est plus quelque chose qui accompagne le transport mais c’est elle qui le constitue. Le covoiturage, c’est en quelque sorte de l’information à barres. Ce n’est plus la route et la voiture, c’est-à-dire le hardware, qui sont déterminants. C’est le reste qui compte : les bases de données et les incitations mises en place. C’est le software qui reprogramme le hard banalisé. Avec le covoiturage, un nouveau mode de transport apparaît, quelque chose entre l’individuel et le collectif.

Comment les usagers vont-ils pouvoir s’y retrouver ?

Le transport, ce n’est plus uniquement le matériel roulant. Le non-roulant devient également important. Notamment les lieux. Les pôles d’échanges ou les pôles multimodaux sont l’une des grandes innovations de ces vingt dernières années. On s’est rendu compte qu’une grande partie de la valeur et de la qualité de l’offre de transport réside dans les lieux et les connexions. La SNCF a redécouvert ses gares. Nous, nous nous intéressons à l’arrêt de bus. En caricaturant, on pourrait dire qu’il était devenu un support publicitaire où les bus avaient le droit de s’arrêter. La redécouverte de la station de bus comme objet urbain, équipement de service, lieu de rencontre, change la donne.

Quelle place pour le vélo et la marche à pied ?

Ce sont des modes d’avenir. La technologisation de la marche à pied est en bonne voie. Un jour, nous aurons des chaussures équipées, des cartes électroniques, etc. Mais tout cela sera proposé dans une offre élargie avec du bus, du métro, etc. L’art de la mobilité, ce sera d’être capable de créer des circuits différents utilisant des modes de transport complémentaires pour aller d’un point à un autre en fonction de ses besoins ou de son humeur du moment.