Rétrospectivement, on peut dire que cette époque semblait paisible et facile, ce qui bien sûr n’était pas le cas. Tout semblait bien se passer. Les Jeux Olympiques de Pékin de 2008 en ont été le parfait symbole : spectaculaires (205 records battus !), grandioses, populaires (4,5 milliards de téléspectateurs, tous types d’écrans considérés), sécurisés et très rentables ! La Chine assumait pleinement son nouveau statut de géant mondial. Certes, le dopage était omniprésent, notamment dans les équipes chinoises ; certes, les athlètes et les spectateurs venus sur place sont rentrés dans leurs propres métropoles polluées avec le sentiment que rien ne pourrait vraiment être pire que Pékin ; et Al Gore parcourait le monde avec un autre film terrifiant sur l’état de la planète. Mais qu’est ce que cela pouvait faire ? Les gens s’amusaient, l’argent, les informations et les images coulaient à flot, on innovait sans cesse et partout. Bref, le système fonctionnait.

Course au sommet

Ce sentiment partagé a permis à Rudy Giuliani de remporter la présidence des États-Unis en novembre 2008. Les Américains, et beaucoup d’autres, attendait un gouvernement tout entier concentré sur leur croissance et sur leur sécurité, et non sur des questions planétaires abstraites et futuristes. La croissance « propre », pourquoi pas, pourvu qu’elle soit forte ! Les discussions préliminaires qui devaient en principe permettre d’organiser un deuxième sommet de Kyoto avant 2009, furent rapidement abandonnées quand il est clairement apparu que ni la Russie ni les États-Unis ne signeraient, et quand la Chine, dans sa recherche de grandeur, a annoncé qu’elle abandonnait sa politique de « l’enfant unique ».

Nous nous rendions bien compte de ce qui risquait d’arriver, mais cela restait plutôt abstrait pour nous. Les journaux télévisés rendaient compte d’événements climatiques extrêmes, de pluies diluviennes en Grande-Bretagne alors même que l’Europe orientale et méridionale souffrait de la canicule et de la sécheresse. Mais la plupart de ces événements se produisaient loin de chez nous et on n’en parlait plus quelques semaines plus tard. Il était difficile d’imaginer que ces anomalies n’en étaient pas, malgré les prédictions de nombreux blogs, prophètes, rapports et autres rockstars.

Mais l’époque était trop belle. Si vous travailliez dans Web 2.0 ou 3.0, dans les télécommunications mobiles ou les objets communicants, vous pouviez inventer tout ce qui vous passait par la tête, le réaliser, obtenir des financements et même quelques d’utilisateurs, le tout en quelques semaines. En ligne, les gens échangeaient, coopéraient, construisaient des choses ensemble : la vision originelle de l’internet semblait devenir réalité, et qui plus est, sur la base de modèles économiques viables. Les biotechnologies, les neurosciences et les nanotechnologies progressaient à grand pas, produisant de nouveaux traitements et diagnostics, des OGM plus performants, des nouveaux matériaux aux propriétés spectaculaires… ainsi que quelques techniques et substances dont on parlait moins, plutôt réservées aux soldats, aux stars du cinéma et aux sportifs en mal de résultats. De nouveaux produits envahissaient en permanence le marché, reçus avec enthousiasme par les consommateurs. Les pays émergents assuraient la production à bas prix tout en devenant eux-mêmes des marchés, ce qui permettait à leur population, qui n’en demandait pas plus, d’espérer accéder à l’abondance occidentale.