Des technologies en progrès

Les technologies progressent rapidement dans ces domaines : synthèse et reconnaissance vocales, reconnaissance du mouvement, interfaces tactiles et «haptiques», son et images en trois dimensions, «réalité augmentée», etc. Pourtant, elles ont du mal à sortir des laboratoires, ou d’applications spécialisées, industrielles, médicales, militaires ou ludiques. Il est désormais temps de changer d’échelle.

Donner la priorité à d’interfaces multisensorielles

Les programmes de recherche doivent se fixer une nouvelle priorité : inventer, tester et diffuser massivement des interfaces multisensorielles, qui font appel au toucher, à l’ouïe, aux gestes, au mouvement, pourquoi pas à l’odorat, à l’ensemble des cinq sens associés ensemble. Avec un objectif clair : faire en sorte que dans 10 ans, ces interfaces soient aussi répandues et aussi standards que l’écran et la souris d’aujourd’hui, qui ne disparaîtront d’ailleurs pas. Le domaine des interfaces est aujourd’hui cantonné à quelques spécialistes et très rarement considéré comme une priorité «sérieuse» des programmes de recherche-développement. Il doit désormais retrouver sa place au premier plan. C’est la condition d’une nouvelle richesse humaine des technologies et probablement, de l’invention d’applications et d’usages que nous sommes aujourd’hui incapables d’imaginer. Une telle vision pourrait s’incarner dans des projets très concrets, tels que :

  • Rendre la relation distante aussi sensible que la relation physique ;
  • Inventer un langage tactile applicable au téléphone portable.

Appuyer sur ces plates-formes multisensorielles un projet de grande ampleur d’échanges culturels et artistiques

L’art est le lieu par excellence de la reconnexion entre le corps et l’esprit. Si, malgré sa richesse, l’«art numérique» demeure encore aujourd’hui un domaine spécialisé, ghettoïsé dans un petit cercle de galeries et de critiques spécialisés, à l’écart de la plupart des institutions culturelles, on le doit dans une large mesure à l’insuffisance des interfaces. Mais les formes d’art issues de l’histoire du monde pâtissent également de cette insuffisance, qui ne leur permet pas d’être rendues accessibles de manière riche au travers des réseaux. Aussi, l’un des terrains d’application et de validation des nouvelles interfaces doit prendre la forme d’un programme international de grande ampleur, destiné à rendre accessibles et sensibles les formes artistiques et culturelles du monde.

Constituer une étiologie des effets du numérique

Le numérique agit déjà sur les corps. On connaît certaines pathologies, depuis le mal de dos ou de poignet jusqu’aux troubles visuels (très liés à la nature des interfaces actuelles), en passant par l’addiction aux jeux. Il en existe vraisemblablement d’autres : le stress de la multiactivités, le traumatisme de la perte de mémoire lorsqu’un fichier ou un disque s’effacent, l’incapacité d’effacer des données… Si le corps est pris au sérieux dans le numérique, alors les maladies qui s’associent à son usage doivent l’être aussi.

Négocier l’invasion technique du corps

Enfin, le mouvement du numérique vers le corps doit devenir un sujet de discussion, de négociation et de régulation. Les mêmes technologies qui serviront à restaurer l’usage de certains sens, à contrôler des prothèses, à enrichir nos interactions avec les autres et avec notre environnement, peuvent également devenir des technologies de contrôle ou de manipulation d’une efficacité sans précédent. Il importe que l’information sur ces recherches circule et que ses applications soient discutées dès maintenant.