Alors que la démocratie semble avoir gagné la bataille des idées, elle est partout remise en question, notamment sous sa forme «représentative». Le pouvoir se dilue, se partage, se prend en un nombre croissant de lieux ; il ne s’exerce plus seulement sur un territoire, mais aussi sur les réseaux, sur des populations données ou au sein de communautés. La «gouvernance» vise à rendre compte de cette complexification du pouvoir, qui traduit celle de nos sociétés et de nos économies. Ses formes se cherchent encore, probablement pour longtemps, laissant pendante une question essentielle : comment saurons-nous prendre les décisions les plus difficiles, face aux opportunités et aux risques que font émerger les technologies nouvelles ou encore, aux difficultés qui s’annoncent à l’échelle mondiale ?

La notion de gouvernance

«Gouvernance» est un néologisme qui, par rapport aux mots «gouvernement», «politique», «pouvoir», etc., traduit une distribution plus diverses des formes et des sources d’autorité, ainsi qu’une relation plus équilibrée entre institutions et citoyens. D’un point de vue général, la gouvernance peut être définie comme l’intervention de mécanismes institutionnels, politiques ou coopératifs, eux-mêmes régis par des règles et contrôlés par leurs mandants, dans le but d’allouer des ressources rares, de résoudre des problèmes communs, de coordonner et contrôler des activités dans la société et l’économie. Pour simplifier : tout ce qui ne ressort pas du marché (y compris les règles de fonctionnement du marché et les autorités qui les imposent). Dans les sociétés occidentales, la gouvernance renvoie aux interactions entre les institutions et la société, à des formes de régulation associant acteurs publics et privés. Son but de rendre l’action publique à la fois plus efficace et plus, légitime, et les sociétés complexes plus facilement gouvernables. La gouvernance peut se décliner à toutes les échelles. Ainsi, on parle de gouvernance locale, urbaine, territoriale, européenne, mondiale – mais aussi de gouvernance d’entreprise, pour décrire le rôle des actionnaires, la responsabilité sociale de l’entreprise, ses obligations de transparence, etc. L’écheveau complexe des associations, groupes informels, organismes internationaux, instances de standardisation, entreprises, etc. qui font fonctionner l’internet, des valeurs communes censées les animer, des formes d’intervention des Etats, des règles de transparence et des modes d’intervention des utilisateurs, est aussi décrit comme la «gouvernance de l’internet». Il n’y a pas qu’un seul modèle de gouvernance mais des «systèmes de gouvernance» qui diffèrent selon leur objet, les jeux d’acteurs, les valeurs et traditions sur lesquels ils s’appuient. La gouvernance est un concept très lié à la pratique libérale. Il est de ce fait dénoncé par ceux qui regrettent le désengagement de l’Etat-Providence et la perte de souveraineté des Etats-Nations. En particulier, la «bonne gouvernance» est affaire de processus plutôt que de substance. Il n’existe pas une essence de l’intérêt général, supérieure à l’équilibre des intérêts privés. Selon le rapport Gouvernance Mondiale du Conseil d’analyse, économique, la «bonne gouvernance» doit correspondre à cinq critères : légitimité de l’exercice du pouvoir et enracinement, idéal démocratique et exercice de la citoyenneté, compétence et efficacité, coopération et partenariat, relation entre le local et le global. Aucun autre critère absolu (l’égalité, la croissance, la qualité de l’environnement, la puissance…) ne permet d’en juger la qualité. Le mot «gouvernance» présente donc l’avantage de recouvrir la diversité des jeux de pouvoir et des relations entre pouvoirs et individus, mais il n’est pas non plus neutre.