SITUATION
Les ordinateurs classiques fonctionnent autour d’une architecture binaire: les unités d’information, les bits, peuvent prendre deux valeurs, 0 ou 1. Au plan de l’architecture hardware, cela signifie que le courant passe ou pas. Lorsqu’on entre dans le monde infiniment petit de la physique quantique, des choses tout à fait fascinantes se passent. Un objet (ce peut être un photon, un électron etc. ) est capable d’exister en deux états à la fois : par exemple un électron peut être situé sur deux orbites différentes autour d’un noyau, ou il peut passer par deux endroits simultanément. Cet état dit de superposition n’existe cependant que lorsqu’il n’existe pas d’observateur. Si on mesure la particule en question, la superposition s’évanouit. La particule «choisit» son état et les bizarreries s’arrêtent. Le secret de l’informatique quantique consiste donc à manipuler des objets de types électron ou photon et leur faire représenter une information non pas dans un état ou un autre mais plutôt dans tous les cas de figure possibles. Cette technique permet de multiplier de façon exponentielle l’information. Ainsi, un ordinateur à deux bits peut représenter un des quatre nombres suivants : 0,1, 10, 11, autrement dit 0, 1, 2 et 3 en langage binaire. Mais un ordinateur quantique de deux qubits est capable de stocker ces 4 nombres à la fois ! Un ordinateur de 300 qubits serait donc capable de stocker plus de bits qu’il n’existe d’atomes dans l’univers entier. Les ordinateurs quantiques servent donc à effectuer des calculs «massivement parallèles», mais avec une nuance : lorsque finalement la «mesure» est prise, il ne reste plus de superposition et une seule des solutions devient alors disponible pour l’utilisateur. C’est pourquoi on pense que les ordinateurs quantiques seront surtout utilisés dans des applications qui impliquent un choix parmi une multitude d’alternatives. Une telle machine serait ainsi capable de factoriser de très grands nombres (ce qui lui permettrait de craquer n’importe quelle clé cryptographique) de chercher dans de larges bases de données, de naviguer de manière optimale au sein d’une explosion combinatoire, comme dans le cas du fameux «problème du voyageur de commerce» ou encore de se livrer à des simulations très précises, notemment dans le domaine de la physique quantique elle-même. D’ailleurs, selon Seth Lloyd, fameux chercheur du domaine et auteur de Programming the Universe, notre univers ne serait rien d’autre qu’un gigantesque calculateur quantique ! Mais il existe un problème majeur : la décohérence. L’observateur qui casse la superposition n’est pas forcément un être humain, mais tout système extérieur au comportement de la particule, susceptible d’interagir avec elle. Si on construit un trop gros ordinateur quantique,il devient difficile de maintenir l’isolation nécessaire. Comme le dit Seth Lloyd, «on n’a pas de difficultés à construire des ordinateurs quantiques, on en a à en construire des gros». À l’heure actuelle, selon l’informaticien Thierry Lombry, personne, ni à Los Alamos, ni au MIT, ni à Princeton ou chez IBM n’entrevoit de solution au delà de systèmes dépassant 10 qubits du fait que la décohérence rend les systèmes trop fragiles pour être exploitables. Comment se présentera l’ordinateur quantique dont certains prévoient des applications industrielles dès les années 2020 ? Sera-t-il solide, liquide ou gazeux ? Aura-t-il la taille d’un immeuble ou tiendra-t-il dans la main ?