Les artistes ont le pouvoir d’imaginer notre quotidien de façons différentes et surprenantes. Sud Ouest vous invite à participer au débat.

Interview par Pierre Tillinac, publiée dans le journal Sud-Ouest le Lundi 2 octobre 2006

DEBATTY

Régine Debatty s’est fait connaître avec son blog we-make-money-not art.com. Belge, commissaire d’expositions, elle se passionne aujourd’hui pour les travaux de tous ceux qui posent un regard « différent » sur les nouvelles technologies.

Quel lien entre l’art et les nouvelles technologies ?

Les artistes ont parfois de bonnes intuitions sur le futur. Pas sur ce qu’il devrait être mais sur ce qu’il pourrait être.

A quoi ressemblera demain ?

Cela dépend des artistes et des technologies. Je vois que des artistes prennent en compte le fait que de nombreuses personnes en ont un peu marre des technologies. D’un côté, ils proclament : on adore les téléphones portables. De l’autre, ils disent : halte là, c’est une véritable invasion de notre vie privée. Cela donne naissance à des projets dans lesquels ils imaginent des choses pour en reprendre le contrôle.

Ont-ils une chance d’être entendus ?

Les industriels entendent sans doute ce genre de messages mais ils ne les prennent pas forcément en compte. Cela dit, en Belgique et aux Pays-Bas, Nokia a installé des cabines téléphoniques de silence éphémères dans des endroits où il y a beaucoup de monde. Quand les gens ont envie de téléphoner avec leur portable, ils se mettent dans ces cabines.

Jusqu’où peuvent-ils aller ?

Les artistes travaillent aussi sur tout ce qui est bio ou nanotechnologie. La plupart du temps, cela reste loin du quotidien des gens. Il revient aux artistes de rendre ces questions plus tangibles.

Comment peuvent-ils travailler ?

En Grande-Bretagne, des artistes ont imaginé que l’on puisse injecter dans un arbre l’ADN d’une personne que l’on aime et qui vient de mourir. Finalement, cela a fait beaucoup de bruit. Il y a eu des réactions hystériques mais il y a aussi eu des réactions très positives. Certaines personnes ont fait savoir qu’elles accepteraient d’avoir un jardin avec l’ADN des gens qu’elles ont aimés. D’autres se sont interrogées sur les conséquences d’une injection dans un pommier. Pourrait-on manger les pommes ? Pourrait-on parler de cannibalisme ?

La provocation a bien fonctionné…

Un vrai débat s’est développé. Il faut que les gens se rendent compte de ce qui se cache vraiment derrière les technologies. Le plus beau dans cette histoire, c’est que les artistes ont reçu une bourse de recherche pour essayer de mettre au point un véritable produit susceptible d’être commercialisé.

En l’occurrence, art et business font mon ménage.

Mais les artistes travaillent aussi sur tout ce qui menace la vie privée. Ils inventent des robes gonflables pour retrouver un peu d’espace personnel dans les foules trop compactes. Ils mettent au point des techniques alternatives pour traverser les villes en échappant aux caméras de surveillance. Quitte à ne pas se situer toujours dans la légalité la plus absolue.